24 octobre 2006

L'invisible



Du puits à la tente
de la tente au vide
le sentier s'enroule
anneau serpent
gémissement aigu
de la flûte
qui rassemble les fibres
du visible
et de l'invisible.

Hawad, cité par Hélène Claudot-Hawad, Touaregs. Apprivoiser le désert, coll. Découvertes Gallimard, 2002.

































Il était fatigué. Il s'assit. Je m'assis auprès de lui. Et, après un silence, il dit encore:

- Les étoiles sont belles, à cause d'une fleur que l'on ne voit pas...

Je répondis "bien sûr" et je regardai, sans parler, les plis du sable sous la lune.

- Le désert est beau, ajouta-t-il...

Et c'était vrai. J'ai toujours aimé le désert. On s'assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n'entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence...

- Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c'est qu'il cache un puits quelque part...

Je fus surpris de comprendre soudain ce mystérieux rayonnement du sable. Lorsque j'étais petit garçon j'habitais une maison ancienne, et la légende racontait qu'un trésor y était enfoui. Bien sûr, jamais personne n'a su le découvrir, ni peut-être même ne l'a cherché. Mais il enchantait toute cette maison. Ma maison cachait un secret au fond de son cœur...

- Oui, dis-je au petit prince, qu'il s'agisse de la maison, des étoiles ou du désert, ce qui fait leur beauté est invisible !

- Je suis content, dit-il, que tu sois d'accord avec mon renard.

Comme le petit prince s'endormait, je le pris dans mes bras, et me remis en route. J'étais ému. Il me semblait porter un trésor fragile. Il me semblait même qu'il n'y eût rien de plus fragile sur la Terre. Je regardais, à la lumière de la lune, ce front pâle, ces yeux clos, ces mèches de cheveux qui tremblaient au vent, et je me disais: ce que je vois là n'est qu'une écorce. Le plus important est invisible...

Comme ses lèvres entr'ouvertes ébauchaient un demi-sourire je me dis encore: "Ce qui m'émeut si fort de ce petit prince endormi, c'est sa fidélité pour une fleur, c'est l'image d'une rose qui rayonne en lui comme la flamme d'une lampe, même quand il dort..." Et je le devinai plus fragile encore. Il faut bien protéger les lampes: un coup de vent peut les éteindre...

Et, marchant ainsi, je découvris le puits au lever du jour.

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince.

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