31 décembre 2007

La caravane




"La caravane est chose fragile - dit un chamelier. Il suffit que ton animal secoue la queue : la caravane frémit et c'est déjà une autre caravane, ce n'est pas celle qui arrivera qui est partie, celle d'aujourd'hui n'est pas celle de demain. La mémoire est de sable - dit-il -, la caravane est d'eau."
Bernard Olivié & Jorge Zentner, Caravane, FRMK, 2003.



La caravane 2007 est passée.
Une nouvelle se met en route.
Bonne "caravannée" 2008 !
Qu'elle soit renversante !
Qu'elle vous amène par exemple en Afrique (pour les uns) ou en Europe (pour les autres).
Nous vous y attendons, d'un côté puis de l'autre.

A vous revoir,

Théo, Lucien et Daphné
Zoë et Quentin



Les dômes
























Puis, après le départ du chamelier, il avait fait bouillir l’eau de la théière, avec ces gestes toujours semblables de rassembler les braises, rincer les petits verres, jeter les feuilles et le sucre dans l’eau frémissante, pour quelques goulées écœurantes et amères qui brûlaient et brièvement secouaient le corps, aussitôt bues, aussitôt oubliées, comme si l’essentiel ne résidait que dans l’appareil des gestes et le temps qu’ils développaient ainsi sans langueur ni hâte. On entendait dans le bas du village les coups sourds des pilons tandis que rencogné dans la pénombre de la case Moussa s’était affairé à préparer des portions de tabac à chiquer et des cristaux de natron pour les offrir le lendemain à nos hôtes de la montagne. Et le lendemain, ce jour pur, nous pénétrerions dans l’immense territoire du vent, des vallées autrefois verdoyantes, ces rivières taries, ces marais désormais secs, ces mers à jamais arides, comme on marche dans le temps d’avant les hommes, le pays ossifié, sous la coupe aveuglante du soleil, derrière le pas lent, souverain, des deux dromadaires. Et j’entendais chanter mon guide à mesure que se rapprochait la barre montagneuse qui frangeait l’horizon, j’entendais sa psalmodie amère, comme s’il était enfin rendu à son paysage, porté par ce vent chaud qu’il appelait hadou. Sable, galets, ossements blancs, îlots de roches, rondes sous l’horizon tremblant, parfois des huttes de branchage, hantées par quelques silhouette de femme, toujours voilée, toujours fuyante, parfois quelque enfant berger nous avisant de loin, une longue perche à la main, au milieu de son troupeau clairsemé de chevrettes.

...



























...

Et avant d’aborder la montagne Moussa m’avait mené jusqu’à un champ de tombes, petits oratoires rectangulaires, jonchées de pierres alignées en direction de l’est, certaines taillées en pointe vers le ciel. Ces morts sont très anciens, m’avait-il dit en frottant avec sa paume la plus haute des pierres, il régnait sur l’endroit un silence qui nouait la gorge car le vent s’était tu, barré par la montagne. Au soir, nous avions dîné d’une galette de mil, cuite dans le sable sous la braise et émiettée à gros doigts dans une vasque de fer émaillée. A la faveur de ce partage il s’était enfin mis à me parler, me questionner plutôt, […].

François Emmanuel, Le Vent dans la maison, Stock, 2004.

4 décembre 2007

L'enfance nue

















C’est à cette période que je demandai à Misra si elle rappelait quelque chose de sa propre enfance. Elle me répondit que tout ce dont elle se souvenait, c’était qu’elle n’avait jamais le droit de faire ce qu’elle voulait et qu’elle avait hâte d’être assez grande pour être elle-même. Je demandai : « Tu veux dire qu’étant enfant tu n’étais pas toi-même ? »
Elle répondit : « On peut dire que l’enfance est la condition où l’on est quelqu’un d’autre avec les adultes, et soi-même quand on est seul ou avec d’autres enfants ; il est difficile de s’habituer à l’une et l’autre condition. Ce que je veux dire, c’est qu’il est difficile de s’habituer à cette idée : ils te donnent des habits achetés spécialement pour toi, mais c’est à eux qu’appartient le choix du moment et du lieu où tu as le droit de les porter, ou de ne pas les porter du tout, et pas à toi. »
Je me souviens, j’avais alors six ans. Et je me souviens d’avoir pensé à la « nudité ». A cette époque, quand je voyais quelqu’un nu, cela m’évoquait deux choses : le lit ou le bain. Un jour, je vis Misra et Aw-Adan nus. Ils étaient certes près d’un lit, mais ils n’étaient pas dedans, pas plus qu’ils n’étaient au bain ; je m’interrogeai : les adultes avaient aussi le droit de choisir de rester nus ? Un enfant, cela j’en étais sûr, avait la permission de se promener dans la maison et même dans la rue sans un seul vêtement. Il faut dire que cela dépendait aussi beaucoup de « qui » était cet enfant. Si vous étiez le fils de cette sorte de gens qui ne peuvent même pas se payer de vêtements pour eux-mêmes, et encore moins pour leurs enfants – alors, ça pouvait s’expliquer, et on était même compréhensif, non ? En pensant à tout cela, et à d’autres hypothèses plus ou moins voisines, je formulai une question dans ma tête, une question qui par un trajet détourné se rapportait à la « nudité » et qui, en ce qui me concerne, avait beaucoup à voir avec le fait que j’avais vu Aw-Adan, le prêtre, et Misra, tout nus, pas vraiment au lit, mais à côté. Je demandai à Misra quels étaient leurs liens.

Nurrudin Farah, Territoires, Le Serpent à Plumes, 1994.

NDLR : Nurrudin Farah est l'un de mes auteurs (africains) favoris, avec Sony Labou Tansi, Tierno Monénembo et Ahmadou Kourouma... A lire !


29 novembre 2007

L'avenir



















- On ne fait pas de transformations fondamentales sans un minimum de folie. Dans ce cas, cela devient du non-conformisme, le courage de tourner le dos aux formules connues, celui d'inventer l'avenir. D'ailleurs, il a fallu des fous hier pour que nous nous comportions de manière extrêmement lucide aujourd'hui. Je veux être de ces fous-là.
- Inventer l'avenir ?
- Oui. Il faut oser inventer l'avenir. Dans le discours que j'ai prononcé pour le lancement du plan quinquennal, j'ai dit : "Tout ce qui sort de l'imagination de l'homme est réalisable par l'homme." Et j'en suis convaincu.

Entrevue de Thomas Sankara avec Jean-Philippe Rapp, "Oser inventer l'avenir", dans Thomas Sankara parle, Pathfinder, 2007.

Merci particulier à Marcelle et Richard pour l'envoi de ce livre qui complètera notre connaissance du Burkina Faso et de ses hommes et femmes intègres. Au plaisir de vous y revoir bientôt.




Le rameau

















La "baraka" signifie la chance. Nous en sommes innondés en ce moment.
Au Burkina Faso, c'est aussi ce terme qui est employé pour dire merci : Barka !
Merci à vous pour ces multiples signes de bienvenue formulés à l'adresse de Théo et pour vos mots chaleureux qui nous sont bien parvenus. Merci.

A cette adresse (cliquez ici), vous trouverez une image par jour durant les cent premiers jours de la vie de Théo et de la famille ainsi émerveillée.

A vous lire, à vous voir,


Zoë & Quentin
Daphné & Lucien





















À quoi reconnaître une authentique nouveauté ? Comment décrire une naissance ? Qu'est-ce qu'un événement ? Comment sort-il du quotidien ? Y a-t-il quelque chose de commun entre l'émergence d'une idée et l'apparition d'une espèce ? Comment l'histoire humaine bifurque-t-elle ?
Comme le rameau s'élance de la tige, la nouveauté émerge du «format». Et de la philosophie «père», celle des dogmes et des lois, jaillit la philosophie «fils», celle du faible et de l'inventif, de celui qui prend des risques.

Michel Serres, Rameaux, Le Pommier, 2004.

20 novembre 2007

Le coeur agrandi

C'est le "coeur agrandi" que
Daphné et Lucien,
Zoë et Quentin
Mortier-Linardos
ont la grande joie de vous faire part de la naissance de

Théo

ce 20 novembre 2007
à 2h45,
à Ouagadougou.

Le "divin enfant" pesait 4 kilos à la naissance et mesurait 52 cm.
Il est né à la même date que son heureux père, à 35 ans d'intervalle...
qui dit mieux comme cadeau d'anniversaire ?


















Théo vu par son grand frère, sa grande soeur et son papa. Qui a fait quelle photo ?



"Le coeur soudain privé, l'hôte du désert devient presque lisiblement le coeur fortuné, le coeur agrandi, le diadème."


René Char, Lettera Amorosa.

30 octobre 2007

La route


Fidèle à la tradition burkinabè, Audrey nous demande à trois reprises la route avant de la prendre. Nous la lui donnons mais à moitié. Elle sait de la sorte que si elle a un problème en chemin, elle peut revenir à nous.

Fidèle à ma tradition, je lui donne aussi textes à lire et images à voir, chemin faisant. Bonne route à elle !













[...]
C'est quand ils n'existent plus que l'on conçoit l'essence des chemins, un moyen de conjurer l'aspiration du vide. Quelqu'un va venir, quelqu'un va modifier cette carte mètre par mètre, délivrer ces bourgades aux noms allégoriques de leur dépendance des bateaux et des hélicoptères, les relier au gigantesque jeu de l'oie qui, passant par le Mexique et l'Amérique centrale et offrant un nombre infiniment séduisant de détours possibles, va jusqu'en Terre de Feu. Pour peu que l'on y soit sensible, on connaît le vertige que peuvent donner ces cartes routières , la possibilité de rouler de Calais à Vladivostok en faisant un détour par Narvik, par Flensburg, par Melitopol ou par Erzeroum, avec la certitude de rencontrer en chemin tout ce qui fait le propre d'un voyage, le contretemps comme apothéose du mouvement, la chaussée creusée de tranchées où elle exhibe ses tristes entrailles, la démonstration de force et les destructions massives des buldozers et des rouleaux compresseurs, la route qui n'est pas encore, simple idée dans le cerveau des ingénieurs, ombre provisoire dans l'oeil du géomètre, trace creusée dans le sable avec, à côté d'elle, le serpentin désormais inutilisable de l'ancienne chaussée qu'aucune roue ne parcourra plus jamais et qui ressemble à un vieux blue-jean cent fois reprisé. Mais aussi la route qui sent encore l'arrogance de la table à dessin, qui s'enroule voluptueusement autour d'un paysage plein de fluides formes féminines, qui se déguise en pont au-dessus d'un ravin ou qui, col perché dans les montagnes, tient à elle seule le monde en équilibre entre montée et descente, la route comme instrument de punition, le traitement de choc de la "tôle ondulée" dans la désert, la hautaine autoroute soudain contrainte de poursuivre à genoux ou bien la piste séculaire frayée dans la montagne et qui n'a d'abord appartenu qu'aux pieds et aux sabots avant d'appartenir aux roues, le chemin qui a écrit une histoire de conquête et de retraite, de sièges et de défaites, qui s'est appelé voie romaine et a vu passer des cohortes , puis toutes ces autres armées pour lesquelles il n'existait pas de retour possible parce que le lointain les avait aspirées pour de bon. Un jour, j'ai décidé d'échanger une cellule monastique contre les chemins du monde et c'est aujourd'hui seulement, après tant de pérégrinations, que j'ai enfin compris que, si l'on cherche la même chose, l'opposition entre mouvement et l'immobilité est un leurre, et qu'il me fallait tout ce mouvement pour le découvrir.

Cees Nooteboom, "Goethe, le monastère et le mouvement", dans Cees Nooteboom et Eddy Posthuma de Boer, Un art du voyage, Actes Sud, 2006.












Heureusement, il y a les pannes ! [...] La panne n'est plus cet incident irritant et banal qui vous fait perdre de l'argent et du temps, ni cet accident fatal qui risque d'entraîner la mort, c'est tout à la fois le signe de la libération et du destin, de la fatalité et du désordre. L'accroc dans la routine du quotidien. Avec la panne, enfin, le voyage devient dérive...

Jacques Meunier, Le monocle de Joseph Conrad, cité par Franck Michel, Voyage au bout de la route, ed. de l'Aube, 2004.

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Paysages

Paysages paisibles ou désolés.
Paysages de la route de la vie plutôt que de la surface de la Terre.
Paysages du Temps qui coule lentement, presque immobile et parfois comme en arrière.
Paysages des lambeaux, des nerfs lacérés, des "saudades".
Paysages pour couvrir les plaies, l'acier, l'éclat, le mal, l'époque, la corde au cou, la mobilisation.
Paysages pour abolir les cris.
Paysages comme on se tire un drap sur la tête.

Henri Michaux, Paysages, extrait de Peintures, 1939, dans L'espace du dedans, Gallimard, 1966.












Toutes les routes mènent à Rome ? Voire. Il y a des routes buissonières, des routes libertines, des routes puritaines, des routes zen... Chacun choisit la sienne, et quelle que soit la voie, nécessairement, biologiquement, chacun voyage à bord de soi-même.

Jacques Meunier, Le monocle de Joseph Conrad, cité par Franck Michel, Voyage au bout de la route, ed. de l'Aube, 2004.

17 octobre 2007

La traduction




















Est-il possible de traduire la poésie ? de sa langue maternelle dans une autre ?

à dix heures le 10 Novembre 1891
le poète Jean Arthur Rimbaud
rencontra la FIN de son
adventure Terrestre
A.R.

devotions. to Arthur Rimbaud. he was young. he was so damn young. he was so god damned. Drunk with the Blood of Baby dolls. Mad laughter. power. running neck and neck with his vision was his demon. Sooner Stick his dick up the baby dolls ass. Shove pins in the heads of innocents. Bad seed with a golden spleen. Ha Ha. he has the last laugh. Blonde Hairs raveling in your vital breath. White hydrogen. Rimbaud. Savior of the forgotten scientists: the alchemists. alchemy. of The. The Word. The power of The Word. Love Rays. bullets on the alter. obscene ceremonies. leave no proof clues. gold. behind. Rimbaud blessé Rimbaud wounded Rimbaud: angel with sleeves of blue hair. [NO] light without shadow. Rimbaud was a rolling stone are all prophets persecuted? He was so damn young.

Patti Smith, poem from hector zazou's sahara blue album



Est-il possible de traduire le Mali, le Pérou, le Sénégal, le Burkina Faso, les Afriques, les Philippines, de traduire les Belgiques ? Traduire étant pris dans un sens plus large que le commun (faire passer d'une langue à une autre), celui décrit par Michel Serres par exemple. Pour lui, la communication s'opère à travers toute une série de transformations, de transports (du grec μεταφορά, métaphoras), de trahisons... bref de traduction (ce qu'exprime mieux le mot anglais "translation" et que symbolise le dieu grec Hermès, dieu du commerce, gardien des routes et des carrefours, des voyageurs, des voleurs, conducteur des âmes aux Enfers et messager des dieux).

Ecoutez-celui-ci, à propos de l'Afrique (chronique de Michel Serres sur France Info )...

28 septembre 2007

Les yeux







Le seul véritable voyage, le seul bain de jouvence, ce ne serait pas d'aller vers de nou­veaux paysages, mais d'avoir d'autres yeux, de voir l'univers avec les yeux d'un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d'eux voit, que chacun d'eux est ; et cela nous le pou­vons avec un Elstir, avec un Vinteuil, avec leurs pareils, nous volons vraiment d'étoiles en étoiles.

M. Proust

nota bene : il faut savoir que Elstir est le peintre dans "A la recherche ..." et Vinteuil le musicien, bref des artistes