31 mars 2007

Les battements



« Y a-t-il des départs ? Y a-t-il des arrivées ? Quelqu’un voyage-t-il ? Quelqu’un fait-il ce voyage ? Quelqu’un peut-il être assez longtemps le même pour être en deux points différents ? Où suis-je moi, lorsque la caravane avance ou se repose ? Qui respire dans ma poitrine pendant les longues journées de mon absence ? Qui pose les questions sans espoir de réponse ? »

Audrey m’a donné cette photo, à son retour du Mali. Elle m’écrit : « La photo, je l’ai faite en pensant à « ta » phrase : « le chemin se fait en marchant »..... ». Merci à elle. J’y repense quant à moi en lisant « Caravane », cette très belle BD franco-argentine en N/B, dont la dernière phrase est :
Le désert est un jardin absent.

« L’homme est ignorant – dit un chamelier – il veut toujours aller plus loin.
Le coeur par contre, est sage : il n’ambitionne que de battre ».

Bernard Olivié & Jorge Zentner, Caravane, FRMK, 2003

Ce qui m’amène à Apollinaire dont l’un des recueils est intitulé Le Guetteur mélancolique (Poésie/Gallimard) :

Et toi mon cœur pourquoi bas-tu

Comme un guetteur mélancolique
J’observe la nuit et la mort

29 mars 2007

Le choix





Un prénom irlandais
Une mère de partout
Danoise, catalane
Française malgré tout

Un papa huguenot
Et citoyen du monde
Quelques fois parigot
Aux racines vagabondes

Pisseuse ou petit con
Princesse ou poulbot
Tu prendras ce prénom
Comme un premier cadeau

Il te dira le vent
Qui souffle sur Shannon
Et le vert du printemps
Sur l'île d'Avalon

Quand viendras-tu Malone
Aimeras-tu ce monde
Cette triste Babylone
Cette planète moribonde

J’ai le cœur assez grand
Pour encore de l’amour
Et pour toi, mon enfant
Lumière de mes jours

En voudras-tu longtemps
En auras-tu aussi
Pour ces fous inconscients
Qui t’offrent cette vie

Celle ci sera pleine
De plaisirs mais encore
De chagrins et de peines
Qui te rendront plus fort

La vie est un long fleuve
Tranquille ou bien funeste
Les hommes font ce qu’ils peuvent
Le destin fait le reste

Quand viendras-tu Malone
Aimeras-tu ce monde
D’avance tu nous pardonnes
Si tu le trouves trop immonde

Tellement de misère
De souffrances et de haine
Tellement de galères
Pour le moindre « je t’aime »

Mais tellement aussi
De tous petits bonheurs
D’innocences épanouies
Comme bouquets de fleurs

Nous t’apprendrons, mon ange
A lutter chaque jour
Pour que ce monde change
Pour un peu plus d’amour

T’apprendrai à écrire
Pour chanter tes colères
Et pour voir ton sourire
Illuminer la terre

Quand viendras-tu, Malone
Aimeras-tu ce monde
Ton île d’Avalon
Le soleil et puis l’ombre
Ton île d’Avalon
Et le soleil et puis l’ombre

Renaud - Malone - Rouge Sang - 2006
















Ma plume est une arme de poing / Mes mots parfois sont des grenades
Dans ce monde cruel et crétin / Ma guitare est en embuscade

Contre toutes les barbaries / Contre les silences assassins
Le conformisme des nantis / Et l'ignorance des gens de rien

Car si jamais une chanson / N'a fait tomber un dictateur
Si la tyrannie, l'oppression / Vivent toujours de belles heures

Je sais que j'écrirai toujours / Comme un acte de résistance
Outre quelques chansons d'amour / A l'encre noire de la violence

C'est pas donné aux animaux / C'est la mission des baladins
De combattre avec des mots / De faire des couplets des coups d'poing

J'ai retrouvé mon flingue / Il était dans mes rimes
Attention je déglingue / Je dégomme, je décime

Au premier rang de mes colères / L'Amérique du grand capital
George Bush et ses chiens de guerre / Et son putain d'ordre moral

Son modèle de société / Mi decadente mi puritaine
Sa peine de mort légalisée / Par des Cours que l'on dit Suprêmes

Sa sous-culture qu'il voudrait bien / Imposer à la terre entière
Coca, Mac'do, rappeurs crétins / Disneyland et Schwartzeneger

Loi du plus fort, loi de la jungle / Consommation et pollution
A chaque citoyen son flingue / Amour du drapeau à la con

Je rêve que vivent un jour / Dans ce pays dégénéré
Des centaines de Mickaël Moore / Des Luther King par milliers

J'ai retrouvé mon flingue / Il était dans mes rimes
Attention je déglingue / Je dégomme, j'extermine

Autre fléau, autre danger / Ces putains d'églises à la con
Les évangelistes timbrés / Rabbins, Ayathollas, curetons

Combien de guerre, combien d'horreurs / Ces imbéciles ont engendrées
Par leurs discours de malheur / Sur des masses de demeurés

Tous ceux-là considèrent la femme / Comme une pute ou une sainte
Promettent la damnation de l'âme / A qui ne vit pas dans la crainte

Trouverai-je jamais les mots / Pour dire mon mépris profond
De tous les dieux, tous leurs dévôts / Et de toutes les religions

La mienne se résume en fait / A l'amour et à l'amitié
A l'amour de cette planète / Où vit l'homme et sa fiancée

J'ai retrouvé mon flingue / Il était dans mes rimes
Attention je déglingue / Je dégomme, j'élimine

Chaque jour ils sont des milliers / Les enfants qui meurent sans bruit
Quand des milliards sont dépensés / Pour sur-armer tous les pays

On mise sur le nucléaire / On surconsomme, on surproduit
Lorsque la moitié de la terre / Crève de faim, de maladie

La charité a remplacé / La justice, et c'est l'Abbé Pierre
Qui doit chaque jour s'y coller / Pour que nos consciences soient claires

Pour faire du spectacle avec ça / Il y a toujours un projecteur
Et toujours une caméra / Comme un vautour sur le malheur

Avec l'horreur ils font du fric / Et avec la mort de l'audience
Notre époque est télé-merdique / L'info remplace la connaissance

J'ai retrouvé mon flingue / Il était dans mes rimes
Attention je déglingue / Je dégomme, je décime

S'attaquer aux moulins à vent / De l'injustice, de la misère
Comme je le fais de temps en temps / Dans mes petites chansons colère

Ça relève de l'utopie / Mais y a-t-il autre chose à faire
Poser des bombes, prendre un fusil / Ou suivre le troupeau pépère

Qui imagine changer l'histoire / En votant pour quelques gangsters
En déléguant tous les pouvoirs / A des politiciens pervers

Vienne un jour ce monde impossible / Où les enfants seront bénis
Où nulle femme ne s'ra la cible / De la violence ou du mépris

Où les hommes vivront d'amour / Comme l'ont dit d'autres que moi
Où plus personne ne sera sourd / Aux cris de détresse ou d'effroi

J'ai retrouvé mon flingue / Il était dans mes rimes
Attention je déglingue / Je dégomme, je décime
Je dégomme, j'extermine / Je dégomme, j'élimine
Je dégomme, j'assassine

Renaud - J'ai retrouvé mon flingue - Rouge Sang - 2006
















Des armes, des chouettes, des brillantes
Des qu'il faut nettoyer souvent pour le plaisir
Et qu'il faut caresser comme pour le plaisir
L'autre, celui qui fait rêver les communiantes

Des armes bleues comme la terre
Des qu'il faut se garder au chaud au fond de l'âme
Dans les yeux, dans le coeur, dans les bras d'une femme
Qu'on garde au fond de soi comme on garde un mystère

Des armes au secret des jours
Sous l'herbe, dans le ciel et puis dans l'écriture
Des qui vous font rêver très tard dans les lectures
Et qui mettent la poésie dans les discours

Des armes, des armes, des armes
Et des poètes de service à la gâchette
Pour mettre le feu aux dernières cigarettes
Au bout d'un vers français brillant comme une larme

Léo Ferré
(chanté par Noir Désir, Des visages des figures, 2001)




22 mars 2007

L'itin-errance



Nous sommes dans l’errance et ne sortirons pas de l’itinérance. Le renoncement au paradis ne fait que commencer. L’histoire de l’humanité ne fait que commencer. L’acceptation de la tragédie humaine (et sans doute de la tragédie de l’Univers) est la condition sine qua non de toute anthropolotique.
Agir ? J’ai dit le principe d’incertitude inclus dans toute action, et singulièrement toute action politique. J’ai dit l’incertitude inouïe de l’action pour l’humanité. Celle-ci, de plus, risque à chaque instant la folie. Nous n’allons pas éliminer l’incertitude et l’aléa, nous allons apprendre à mieux travailler et jouer avec eux. Nous ne deviendrons pas subitement « sages », nous allons apprendre à commercer avec notre folie pour nous préserver de ses formes atroces et massacrantes.
Parier ? Nous ne savons pas si tout est déjà joué, si rien n’est joué. Rien n’est sûr, surtout pas le meilleur, mais y compris le pire. C’est dans Nuit et Brouillard qu’il nous faut jouer.
Il nous faut enfin formuler le principe spermatique de l’action politique. L’action politique n’est pas dotée de l’efficacité de l’action physique, où chaque coup de marteau, s’il est bien asséné, enfonce un peu plus le clou. C’est que l’efficacité politique, comme l’efficacité biologique de la sexualité, a besoin d’innombrables efforts infructueux, d’un gaspillage inouï d’énergie et de substance vitale pour arriver enfin à une fécondation. Des myriades de spores et pollens s’envolent des plantes et meurent pour la plupart avant de naître. […] Semer la vie, pour nous, c’est la dépense d’efforts sans nombre, c’est la production de germes sans nombre, mais en même temps semer peut coïncider avec s’aimer, c’est-à-dire avec l’amour qui transfigure deux êtres et trouve sa finalité dans leur extase de communion.
Et voici le symbole, que chacun a pu et peut vivre, de cette identité complexe entre l’accouplement de deux êtres et l’accomplissement aveugle d’une fonction venue du fond des âges et qui va vers l’horizon des temps : on en revient à ce que nous savions avant toute connaissance et toute conscience, tout en arrivant à ce que toute connaissance et toute conscience nous disent d’accomplir et d’épanouir : semer -> s’aimer -> semer.

Edgar Morin, Pour sortir du XXè siècle, Le Seuil, 1984.














Avant, je rêvais de partir pour partir et revenais toujours. Je pars sans bouger à présent, et il n’y a pas de retour. On ne part pas, écrivait Rimbaud, ce qui pourrait s’entendre aussi par : on ne cesse de partir, et les vrais voyages ne sont pas ceux qu’on croit. Cette mer qui n’existe pas derrière les peupliers est pour moi plus réelle que la mer, et plus loin que toutes les Abyssinie. Suffit de se laisser faire.

...

Au fond, les vrais voyages sont immobiles. Immobiles et infinis. Solitaires. Silencieux. Souvent ils commencent dans une chambre où l’on est enfermé parce qu’il pleut ou parce qu’on est malade, obligé de garder le lit. On a huit ou neuf ans, le goût des images qui partent toutes seules dans tous les sens et qu’on lit de même, en sautant par-dessus les fuseaux horaires, uniquement préoccupé du cours qu’elles ouvrent en nous et attentif au fleuve qui va venir, qui doit venir, gonflé qu’il est de toute l’eau du regard, de la pluie qui tombe peut-être dans ce monde tout près où l’on est plus ; gonflé, oui, et irisé par la fièvre douce (encore et peut-être) qui nous saoule un peu et nous fait dériver entre les motifs du papier peint décoloré.


Guy Goffette, Partance et L’agencement du Monde ou le voyage rêvé du Marquis de Sy, extrait de Partance et autres lieux, Gallimard, 2000.

14 mars 2007

L'alpha




















A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corselet velu de mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances de glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides,
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

Arthur Rimbaud, Voyelles, Poésies 1870-1871, dans Arthur Rimbaud, Oeuvres complètes, correspondance, Robert Laffont, 1992.


















« Comment écrire alors que ton imaginaire s’abreuve, du matin jusqu’aux rêves, à des images, des pensées, des valeurs qui ne sont pas les tiennes ? Comment écrire quand ce que tu es végète en dehors des élans qui déterminent ta vie ?
Comment écrire dominé ?
L’unique hurlement est en toi.
Un cri fixe qui te pourfend chaque jour : il s’oppose à ces radios, à ces télévisions, à ce monologue d’images occidentales fascinantes ; il refuse cette aliénation active au Développement dans laquelle les tiens ne sentent même plus que leur génie intime est congédié.
Un cri roide chaque jour.
Un silencieux tocsin. »
Quatrième de couverture de Ecrire en pays dominé, de Patrick Chamoiseau (Gallimard, 1997).

12 mars 2007

La mascarade



















Masques ! Ô Masques !
Masque noir masque rouge, vous masques blanc - et noir -
Masques aux quatre points d'où souffle l'Esprit
Je vous salue dans le silence !
Et pas toi le dernier, Ancêtre à tête de lion.
Vous gardez ce lieu forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane
Vous distillez cet air d'éternité où je respire l'air de mes Pères.
Masques aux visages sans masque, dépouillés de toute fossette comme de toute ride
Qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché sur l'autel de papier blanc
A votre image, écoutez-moi !
Voici que meurt l'Afrique des empires — c'est l'agonie d'une princesse pitoyable
Et aussi l'Europe à qui nous sommes liés par le nombril.
Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l'on commande
Qui donnent leur vie comme le pauvre son dernier vêtement.
Que nous répondions présent à la renaissance du Monde
Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche.
Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons ?
Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l'aurore ?
Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l'homme aux espoirs éventés ?
Ils nous disent les hommes du coton du café de l'huile
Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur.

Léopold Sedar Senghor, Prière aux masques, Chants d'ombres, 1945.






































« Le masque africain, écrit André Malraux, n’est pas la fixation d’une expression humaine, c’est une apparition… Le sculpteur n’y géométrise pas un fantôme qu’il ignore, il suscite celui-ci par sa géométrie, son masque agit moins dans la mesure où il ressemble à l’homme que dans celle où il ne lui ressemble pas ; les masques animaux ne sont pas des animaux : le masque antilope n'est pas une antilope, mais l'esprit-Antilope, et c'est son style qui le fait esprit. » Qui, mieux que l’auteur de l’Intemporel, pouvait exprimer la double nature du masque, vecteur de sacré en même temps qu’œuvre d’art dont la beauté concourt à l’efficacité religieuse ? Carl Estein définissait, quant à lui, le masque comme « une extase immobile »… « Extase », certes, dans la mesure où le porteur de masque cesse, un temps, d’être lui-même, pour incarner tel ancêtre tutélaire, tel génie de la brousse, tel héros mythique rattaché à son clan. « Immobile »… A contrario, ce terme ne semble guère approprié si l’on songe à la fonction intrinsèque du masque : n’est-elle pas précisément de mimer la Création, de chanter l’origine du monde, de faire tournoyer les esprits ? Rien de moins statique, en effet, que le masque africain. Et rien de moins fidèle que la perception que l’on en a, si l’on contemple ces cohortes de faces de bois épinglées, tels des papillons, dans les vitrines de musée ! Car sous les cieux d’Afrique, le masque est danse, tourbillon, musique, prière, couleur tout à la fois. C’est un spectacle total, une « mascarade » au sens plein du terme, c’est-à-dire un ballet masqué imprégné de sacré et de merveilleux, parfois même de comique et de burlesque, provoquant le rire ou les pleurs, la joie ou la terreur. Aussi le visage sculpté dans le bois que l’on admire dans les salles d’un musée, figé comme une statue, nu, propre et lissé comme un bibelot, n’est que la partie tronquée de ce que l’on nomme « masque » dans son pays d’origine. Pour bien le comprendre, il faut alors l’imaginer encore auréolé de sa couronne de fibres végétales, de sparterie ou d’étoffes, tournoyer sous les pas du danseur au milieu des cris d’une assistance médusée, admirative mais vaguement effrayée.

Bérénice Geoffroy-Schneiter, Arts premiers, Assouline, 2005.





Merci à Brahima Gnamou de permettre aux masques du Son de sortir et de nous y avoir invités…






















9 mars 2007

La vision


- C’est pour la vision ? me demande l’employé à l’entrée du Parc.
- Oui, c’est pour la vision, lui répondis-je après un instant d’hésitation (quelle vision ?).
Aurais-je dû lui dire que nous venions pour la chasse… aux images ?
Ci-dessous, ce que nous avons vu ou aurions pu voir.









































Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.



Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car il arrive à l'inconnu ! - Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu ; et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu'il crêve dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d'autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé !

Arthur Rimbaud, lettre dite du Voyant, lettre d’A. Rimbaud à A.P. Demeny, Charleville, le 15 mai 1871.

8 mars 2007

Le 8 mars












Le 8 mars est jour férié au Burkina Faso. Instauré par Thomas Sankara, celui-ci voulait donner l’occasion à chaque homme d’échanger de rôle avec sa femme, en commençant par cette journée-là. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que les marchandes de légumes sur les marchés, confrontées à des acheteurs novices, allaient doubler, ce jour-là, le prix des marchandises les plus courantes… et eux de tomber dans le panneau (selon Madame Zongo, raconté dans la cour d’Hortense).























La mer quand elle a fait son lit sous la lune et les étoiles et qu’elle veut sombrer tout à fait dans le sommeil ou dans l’extase
la mer quand les poissons ont trouvé une autre route pour tirer la soie du cocon et gagner leur temps de paresse
la mer quand plus rien ne la retient d’en faire à sa tête
le contrat des Compagnies maritimes ni le traité des Eaux territoriales
ni le cours du baril ni celui du dollar
la mer enfin quand elle peut se ranger pour de bon et voyager incognito
ne descend pas à l’hôtel comme on pourrait s’attendre de la part d’une personne de son importance, non car elle n’a rien à voir avec les chambres de hasard et peu lui importe que des princes y soient descendus
la mer comme tout ce qui cherche mesure à sa soif ne descend pas, elle monte
elle monte dans les trains à petite vitesse les derniers survivants de l’ère vagabonde
à pratiquer le précepte bouddhique du voyage
et qui vont de gare en gare abandonnées dans la bruyère pour le plaisir de quelques vaches
elle monte dans les collines pour voir les toits d’ardoise et les tuiles
et la lumière sur eux qui pêche à la ligne et le mouvement de la terre alertée
elle monte aussi dans les chambres pour saluer les femmes
qui savent aimer et dont le corps garde longtemps la chaleur des étreintes
et là, s’arrête enfin et ses vagues l’une après l’autre se couchent dans leurs yeux
alors les femmes se lèvent car il est l’heure du café dans la cuisine
l’heure à nouveau d’affronter la houle des enfants et ces pensées en grand tumulte
qui vont viennent se brisent en éclats de verre et toujours ressuscitent
comme cet oiseau inlassable au fond du noyer qui répète
la même question - deux ou trois mots seulement – et le coeur est au large…


- Mère, que disais-tu déjà ?
(J’ai vu bouger tes lèvres) et ces yeux, qui te les as changés ?

Guy Goffette, Eloge pour une cuisine de province (extrait), cité dans Poèmes à dire, Une anthologie de poésie contemporaine francophone, Gallimard, 2002.
Le livre m'a été prêté par Natalie, la photo de Maman par Viviane, le poème dicté par Daphné.















Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !
J'ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu'au cœur de l'Eté et de Midi, je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle.

Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée.

Femme nue, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau
Délices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or rouge sur ta peau qui se moire
A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.

Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel
Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.

Léopold Sédar Senghor, Femme noire, Chants d’ombres, 1945.

7 mars 2007

Les cimes



Raconte-moi
La parole du griot
Qui chante l’Afrique
Des temps immémoriaux
Il dit
Ces rois patients
Sur les cimes de silence
Et la beauté des vieux
Aux sourires fanés
Mon passé revenu
Du fond de ma mémoire
Comme un serpent totem
A mes chevilles lié
Ma solitude
Et mes espoirs brisés
Qu’apporterai-je ?
A mes enfants
Si j’ai perdu leur âme ?

Il dit
Le griot à la langue pendante
« Vous irez plus loin encore
Dans la forêt blanche
Des bétons entassés
Et vous pleurerez
Dans les quartiers boueux
D’une ville sans refuge
Il dit aussi
Le griot nouveau
Regardez !
Il est déjà des hommes
Que les révoltes étreignent ».

Véronique Tadjo, Raconte-moi, extrait de Latérite, Hatier, 1984.














































Bon anniversaire Lucien, écoute les cimes
bon anniversaire Maman, que l'Afrique te parle !