15 mai 2008

La lectrice





Quant à la théologie expérimentale, Lyra, pas plus que ses camarades, ne savait de quoi il s’agissait. Elle avait fini par supposer qu’il était question de magie, du mouvement des étoiles et des planètes, des minuscules particules de matière, mais ce n’était là, en vérité, que des suppositions. Les étoiles possédaient certainement des daemons, à l’instar des humains, et la théologie expérimentale avait pour but de leur parler. Lyra imaginait l’Aumônier s’exprimant d’un ton dédaigneux, écoutant les remarques des daemons des étoiles, puis opinant du chef judicieusement, ou secouant la tête à regret. Mais elle ne pouvait concevoir ce qu’ils se disaient.
D’ailleurs, cela ne l’intéressait pas particulièrement. Par bien des côtés, Lyra était une barbare. Ce qu’elle aimait pas dessus tout, c’était escalader les toits du Collège avec Roger, le marmiton, son meilleur ami, et cracher des noyaux de prune sur le tête des Erudits qui passaient en dessous, ou imiter les ululements de la chouette derrière une fenêtre, pendant que se déroulait un cours ; ou encore courir à toute allure dans les rues étroites de la ville, voler des pommes sur le marché, ou livrer bataille. De même que Lyra ignorait tout des courants souterrains qui régissaient la politique de Jordan College, les Erudits, pour leur part, auraient été incapables de percevoir le foisonnement d’alliances, de rivalités, de querelles et de traités qui constituaient une vie d’enfant à Oxford. Des enfants qui jouent, quoi de plus agréable à regarder ! Qu’y avait-il de plus innocent, de plus charmant !

Philip Pullman, Les royaumes du Nord, A la croisée des mondes, Gallimard Jeunesse, 2000.
Livre lu à raison d’un chapitre par jour, à voix haute, alternativement par moi et par Daphné, à notre arrivée au Burkina Faso. Aujourd'hui, Daphné lit seule...


J’ai enfin trouvé une occupation : je lis. Je lis de huit heures et demie du matin à treize heures, à la bibliothèque de l’Ecole française d’archéologie. J’ai acheté un deuxième cahier, avec une illustration différente sur la couverture : elle montre un prêtre orthodoxe pendu, entouré d’Ottomans sanguinaires. Je viens ici avec mes deux cahiers et deux crayons bien taillés. A huit heures et demies, il n’y a encore personne dans la bibliothèque. Elle se trouve en sous-sol, mais par la baie vitrée qui occupe le haut du mur on voit les arbres du jardin et les pieds des passants. J’ai aperçu un aveugle, il marchait vite en touchant à peine de sa canne l’allée recouverte de graviers. Il travaille sans doute ici. Malgré la vivacité de sa démarche, il ne m’a pas paru jeune.
Je suis assis à un bout de la longue table placée sous la baie vitrée. Je ne reste pas longtemps seul. Les autres lecteurs sont surtout des étudiants, grecs et français. Nous échangeons un «bonjour» à voix basse, comme si nous avions peur de réveiller l’esprit qui habite ici. Leurs cahiers à eux sont beaucoup plus grands et épais que le mien et leurs couvertures ne sont pas illustrées. Je suis sans aucun doute le moins sérieux et le plus âgé des élèves de cette classe silencieuse. Je regarde souvent dehors. De temps en temps, je jette un coup d’œil sur la poitrine de ma voisine. Je l’aperçois un peu mieux quand elle se penche pour lire les notes de bas de page.

Vassilis Alexakis, La langue maternelle, Gallimard, 2006.

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