9 janvier 2008

Le temps















dessins et photos de Lucien (choisis par moi)





… Au lieu d’une vision à l’exclusion des autres, j’eusse voulu dessiner les moments qui bout à bout font la vie, donner à voir la phrase intérieure, la phrase sans mots, corde qui indéfiniment se déroule sinueuse, et, dans l’intime, accompagne tout ce qui se présente du dehors comme du dedans.
Je voulais dessiner la conscience d’exister et l’écoulement du temps. Comme on se tâte le pouls. Ou encore, plus restreint, ce qui apparaît lorsque, le soir venu, repasse (en plus court et en sourdine) le film impressionné qui a subi le jour.
Dessin cinématique.
Je tenais au mien, certes. Mais combien j’aurais eu plaisir à un tracé fait par d’autres que moi, à le parcourir comme une merveilleuse ficelle à nœuds et à secrets, où j’aurais eu leur vie à lire et tenu en main leur parcours.
Mon film à moi n’était guère plus qu’une ligne ou deux ou trois, faisant par-ci par-là rencontre de quelques autres, faisant buisson ici, enlacement là, plus loin livrant bataille, se roulant en pelote ou – sentiments et monuments mêlés naturellement – se dressant, fierté, orgueil, ou château ou tout… qu’on pouvait voir, qu’il me semblait qu’on aurait dû voir, mais qu’à vrai dire presque personne ne voyait.


Henri Michaux, « Dessiner l’écoulement du temps », extrait de Passages, 1950, dans L’espace du dedans, Gallimard, 1966.





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