11 février 2007

La commune




















L’esthétique de la terre semble, comme toujours, anachronique ou naïve : réactionnaire ou stérile.
Cette gageure est pourtant à dépasser, faute de quoi les prestiges (et les dénaturations) de la consommation standardisée à l’internationale l’emporteront définitivement, dans l’affect des communautés, sur le plaisir de consommer ce qu’on produit. Le problème est que ces dénaturations déclenchent déséquilibre et tarissement. Dans ce plein-sens, la passion de la terre où l’on vit est un acte débutant, éternellement à risquer.



Esthétique de la terre ? Dans la poussière famélique des Afriques ? Dans la boue des Asies inondées ? Dans les épidémies, les exploitations occultés, les mouches bombillant sur les peaux en squelette des enfants ? Dans le silence glacé des Andes ? Dans les pluies déracinant les favelas et les bidonvilles ? Dans la pierraille et la broussaille des Bantoustans ? Dans les fleurs autour du cou, et les ukulélés ? Dans les baraques de fange couronnant les mines d’or ? Dans les égouttoirs des villes ? Dans le vent aborigène ravagé ? Dans les quartiers réservés ? Dans l’ivresse des consommations aveugles ? Dans l’étau ? La cabane ? La nuit sans lumignon ?



















Oui. Mais esthétique du bouleversement et de l’intrusion. Trouver des équivalents de fièvre pour l’idée « environnement » (que pour ma part je nomme entour), pour l’idée « écologie », qui paraissent si oiseuses dans ces paysages de désolation. Imaginer des forces de boucan et de doux-sirop pour l’idée de l’amour de la terre, qui est si dérisoire ou qui fonde souvent des intolérances si sectaires.
Esthétique de la rupture et du raccordement.
Car tout est là, et presque tout est dit, quand on fait remarquer qu’il ne s’agirait en aucun cas de transformer à nouveau une terre en territoire. Le territoire est une base pour la conquête. Le territoire exige qu’on y plante et légitime la filiation. Le territoire se définit par ses limites, qu’il faut étendre. Une terre est sans limites, désormais. C’est pour cela qu’il vaut qu’on la défende contre toute aliénation.
Esthétique du continu-variable, du discontinu-invariant.

Edouard Glissant, « Les écarts déterminants », dans Poétique de la Relation, Poétique III, Gallimard, 1990.

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