30 juin 2006

Lucien et compagnie




Les hommes en naissant sont tendres et frêles,
La mort les rend durs et rigides ;

En naissant les herbes et les arbres sont tendres et fragiles,
la mort les rend desséchés et amaigris.

Le dur et le rigide conduisent à la mort ;
le souple et le faible conduisent à la vie.

Force armée ne vaincra ;
grand arbre fléchira.

La dureté et la rigidité sont inférieures ;
la souplesse et la faiblesse sont supérieures.

Lao-Tseu, Tao-tö king, Gallimard, Paris, 1967.





Chris (le fils) se dresse sur les cales-pieds et regarde par-dessus mes épaules (le père).
« Ça c’est un peu dangereux, ce que tu fais ! lui dis-je.
- Mais non. Je sais ce que je fais.
- Fais quand même attention ! »
Au détour d’un virage, nous passons sous des arbres aux branches basses, et j’entends Chris qui pousse des cris de joie. Quelques-unes de ces branches pendent si bas qu’il risque de prendre un coup sur la tête.
« Qu’est-ce qui se passe, Chris ?
- Comme ça change !
- Quoi ?
- Tout. C’est la première fois que je regarde par-dessus tes épaules.»
Le soleil, à travers le feuillage, dessine sur la route des taches étranges et magnifiques. Il m’envoie dans les yeux de petits feux d’artifice. Nous nous balançons dans un virage, et nous repassons, à la sortie du bois, dans la pleine lumière.
C’est vrai, ce que dit Chris. Je n’y avais jamais pensé. Durant toutes ces semaines, il n’a vu que mon dos.
- Et qu’est-ce que tu vois ?
- Je ne peux pas te dire. Rien n’est pareil.

Robert M. Pirsig, Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes, Seuil, Paris, 1978.


Photo de Zoë

«Il est impossible d’avoir un enfant et de mépriser le monde tel qu’il est, parce que c’est dans ce monde que nous l’avons envoyé. C’est à cause de l’enfant que nous nous attachons au monde, pensons à son avenir, participons volontiers à ses bruits, ses agitations, prenons au sérieux son incurable bêtise.»

Milan Kundera, L’identité. Gallimard, Paris, 1997.




Au seuil de la mort, il dit :
Je n'ai plus rien à perdre.
Libre, je suis auprès de ma liberté
Et mon lendemain est dans ma main...
Sous peu j'entrerai dans la vie,
Je naîtrai libre, sans père ni mère,
Et choisirai pour mon nom des lettres d’azur.


Le martyr m'enseigne : Pas de Beau à l'extérieur de ma liberté


*


Le martyr me met en garde :
Ne crois pas leurs youyous,
Crois mon père qui regarde en larmes ma photographie :
Comment as-tu substitué nos rôles, mon fils,
Et marché devant moi ?
C'était mon tour,
C'était mon tour !



La martyre fille de la martyre fille du martyr
Sœur du martyr et sœur de la martyre et bru
De la mère du martyr, petite-fille d’un grand-père de martyr
Et voisine de l’oncle du martyr, etc., etc.
Et rien de nouveau dans le monde civilisé.
Les temps de barbarie sont passés,
La victime est anonyme, banale,
La victime… comme la vérité… est relative. ?
Etc., etc.


Mahmoud Darwich, Etat de siège, Actes Sud, Arles, 2004.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je sens fort en toi aussi un ici et la qui est non seulement celui de l'espace mais aussi celui du monde de l'enfance et de l'adulte. J'aime comment tu les imbriques l'un dans l'autre et comment l'enfant fait le pont aussi par rapport aux espaces (géographiques, culturels...).

M
(par e-mail)
le 4 août 2006