14 septembre 2007

La bonne arrivée


























Ce voyage, on le ferait sans doute aujourd’hui en automobile, croyant le rendre ainsi plus agréable. On verra, qu’accompli de cette façon, il serait même en un sens plus vrai puisque on y suivrait de plus près, dans une intimité plus étroite, les diverses gradations par lesquelles change la surface de la terre. Mais enfin le plaisir spécifique du voyage n’est pas de pouvoir descendre en route et de s’arrêter quand on est fatigué, c’est de rendre la différence entre le départ et l’arrivée non pas aussi insensible, mais aussi profonde qu’on peut, de la ressentir dans sa totalité, intacte, telle qu’elle était dans notre pensée quand notre imagination nous portait du lieu où nous vivions jusqu’au cœur d’un lieu désiré, en un bond qui nous semblait moins miraculeux parce qu’il franchissait une distance que parce qu’il unissait deux individualités distinctes de la terre, qu’il nous menait d’un nom à un autre nom ; et que schématise (mieux qu’une promenade où, comme on débarque où l’on veut il n’y a guère plus d’arrivée) l’opération mystérieuse qui s’accomplissait dans ces lieux spéciaux, les gares, lesquels ne font pas partie pour ainsi dire de la ville mais contiennent l’essence de sa personnalité de même que sur un écriteau signalétique elles portent son nom.

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, t. 2 – A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Gallimard, 1919.



Je sais maintenant la vanité du langage. S’il nous était possible d’atteindre les choses avec l’efficacité qui opère au cœur de l’azur, la parole deviendrait inutile. L’horizon est à la fois le désir et son achèvement. C’est une place. On habite avec elle, en elle, en face d’elle. C’est le lieu total.

L’horizon n’est pas une frontière, je l’ai toujours su. Nos maisons ne peuvent avoir que lui pour vis-à-vis. Il n’était pas aussi effrayant que je l’avais cru. Pour l’instant il symbolisait le site où j’allais bientôt me réfugier loin de Sara-de-Gaulle. Mes craintes, en l’espèce, signifiaient : j’ignore le quartier où nous allons nous établir. Et j’accablais l’horizon : lui seul pouvait contenir le phénomène qui, là-haut, résonnait sous d’improbables voussures. Aux époques lointaines où mon enfance courait les routes, je dépréciais les sensations. Je méconnaissais la race d’hommes qu’on appelle poètes. J’ignorais qu’il existât une ligne bleue des Vosges. La conquête du français viendrait plus tard, l’horizon du premier langage.


Nimrod, Le départ, Arles, Actes Sud, 2005.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

hello Quentin,


C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai lu tes lignes et découvert tes nombreuses photos. J'ignore énormément de l'Afrique, et presque autant des vers que tu cites, mais ta démarche est riche et pleine de sens (même si je n'en saisi certainement pas toute les nuances). C'est agréable de percevoir à travers ce que tu en partages la passion qui t'anime pour ces pays, ces ambiances et les gens qui les habitent. Chouette aussi de te savoir entouré d'enfants :-) j'ai deux choupinettes de 3 et 1 an 1/2 qui chaque jour me font comprendre l'importance de choses simples ... dans un monde où je suis quasi en permanence connecté aux 0 et aux 1, il est bon de pouvoir se rappeler que tout n'est pas binaire :-)


Si tu veux un coup de main pour rajouter de l'audio à ton site, n'hésites pas à télécharger le logiciel open source Audacity, il te permettra, si tu disposes d'un micro, d'enregistrer, de monter et d'encoder tes fichiers pour les mettre à disposition en mp3.


je suis à ta disposition si tu veux plus d'info


Bien à toi,


Damien
(par e-mail)