28 septembre 2007
Les yeux
Le seul véritable voyage, le seul bain de jouvence, ce ne serait pas d'aller vers de nouveaux paysages, mais d'avoir d'autres yeux, de voir l'univers avec les yeux d'un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d'eux voit, que chacun d'eux est ; et cela nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil, avec leurs pareils, nous volons vraiment d'étoiles en étoiles.
M. Proust
nota bene : il faut savoir que Elstir est le peintre dans "A la recherche ..." et Vinteuil le musicien, bref des artistes
Les artistes
14 septembre 2007
La bonne arrivée
Ce voyage, on le ferait sans doute aujourd’hui en automobile, croyant le rendre ainsi plus agréable. On verra, qu’accompli de cette façon, il serait même en un sens plus vrai puisque on y suivrait de plus près, dans une intimité plus étroite, les diverses gradations par lesquelles change la surface de la terre. Mais enfin le plaisir spécifique du voyage n’est pas de pouvoir descendre en route et de s’arrêter quand on est fatigué, c’est de rendre la différence entre le départ et l’arrivée non pas aussi insensible, mais aussi profonde qu’on peut, de la ressentir dans sa totalité, intacte, telle qu’elle était dans notre pensée quand notre imagination nous portait du lieu où nous vivions jusqu’au cœur d’un lieu désiré, en un bond qui nous semblait moins miraculeux parce qu’il franchissait une distance que parce qu’il unissait deux individualités distinctes de la terre, qu’il nous menait d’un nom à un autre nom ; et que schématise (mieux qu’une promenade où, comme on débarque où l’on veut il n’y a guère plus d’arrivée) l’opération mystérieuse qui s’accomplissait dans ces lieux spéciaux, les gares, lesquels ne font pas partie pour ainsi dire de la ville mais contiennent l’essence de sa personnalité de même que sur un écriteau signalétique elles portent son nom.
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, t. 2 – A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Gallimard, 1919.
Je sais maintenant la vanité du langage. S’il nous était possible d’atteindre les choses avec l’efficacité qui opère au cœur de l’azur, la parole deviendrait inutile. L’horizon est à la fois le désir et son achèvement. C’est une place. On habite avec elle, en elle, en face d’elle. C’est le lieu total.
L’horizon n’est pas une frontière, je l’ai toujours su. Nos maisons ne peuvent avoir que lui pour vis-à-vis. Il n’était pas aussi effrayant que je l’avais cru. Pour l’instant il symbolisait le site où j’allais bientôt me réfugier loin de Sara-de-Gaulle. Mes craintes, en l’espèce, signifiaient : j’ignore le quartier où nous allons nous établir. Et j’accablais l’horizon : lui seul pouvait contenir le phénomène qui, là-haut, résonnait sous d’improbables voussures. Aux époques lointaines où mon enfance courait les routes, je dépréciais les sensations. Je méconnaissais la race d’hommes qu’on appelle poètes. J’ignorais qu’il existât une ligne bleue des Vosges. La conquête du français viendrait plus tard, l’horizon du premier langage.
Nimrod, Le départ, Arles, Actes Sud, 2005.
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