31 décembre 2007

Les dômes
























Puis, après le départ du chamelier, il avait fait bouillir l’eau de la théière, avec ces gestes toujours semblables de rassembler les braises, rincer les petits verres, jeter les feuilles et le sucre dans l’eau frémissante, pour quelques goulées écœurantes et amères qui brûlaient et brièvement secouaient le corps, aussitôt bues, aussitôt oubliées, comme si l’essentiel ne résidait que dans l’appareil des gestes et le temps qu’ils développaient ainsi sans langueur ni hâte. On entendait dans le bas du village les coups sourds des pilons tandis que rencogné dans la pénombre de la case Moussa s’était affairé à préparer des portions de tabac à chiquer et des cristaux de natron pour les offrir le lendemain à nos hôtes de la montagne. Et le lendemain, ce jour pur, nous pénétrerions dans l’immense territoire du vent, des vallées autrefois verdoyantes, ces rivières taries, ces marais désormais secs, ces mers à jamais arides, comme on marche dans le temps d’avant les hommes, le pays ossifié, sous la coupe aveuglante du soleil, derrière le pas lent, souverain, des deux dromadaires. Et j’entendais chanter mon guide à mesure que se rapprochait la barre montagneuse qui frangeait l’horizon, j’entendais sa psalmodie amère, comme s’il était enfin rendu à son paysage, porté par ce vent chaud qu’il appelait hadou. Sable, galets, ossements blancs, îlots de roches, rondes sous l’horizon tremblant, parfois des huttes de branchage, hantées par quelques silhouette de femme, toujours voilée, toujours fuyante, parfois quelque enfant berger nous avisant de loin, une longue perche à la main, au milieu de son troupeau clairsemé de chevrettes.

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Et avant d’aborder la montagne Moussa m’avait mené jusqu’à un champ de tombes, petits oratoires rectangulaires, jonchées de pierres alignées en direction de l’est, certaines taillées en pointe vers le ciel. Ces morts sont très anciens, m’avait-il dit en frottant avec sa paume la plus haute des pierres, il régnait sur l’endroit un silence qui nouait la gorge car le vent s’était tu, barré par la montagne. Au soir, nous avions dîné d’une galette de mil, cuite dans le sable sous la braise et émiettée à gros doigts dans une vasque de fer émaillée. A la faveur de ce partage il s’était enfin mis à me parler, me questionner plutôt, […].

François Emmanuel, Le Vent dans la maison, Stock, 2004.

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