22 mars 2007

L'itin-errance



Nous sommes dans l’errance et ne sortirons pas de l’itinérance. Le renoncement au paradis ne fait que commencer. L’histoire de l’humanité ne fait que commencer. L’acceptation de la tragédie humaine (et sans doute de la tragédie de l’Univers) est la condition sine qua non de toute anthropolotique.
Agir ? J’ai dit le principe d’incertitude inclus dans toute action, et singulièrement toute action politique. J’ai dit l’incertitude inouïe de l’action pour l’humanité. Celle-ci, de plus, risque à chaque instant la folie. Nous n’allons pas éliminer l’incertitude et l’aléa, nous allons apprendre à mieux travailler et jouer avec eux. Nous ne deviendrons pas subitement « sages », nous allons apprendre à commercer avec notre folie pour nous préserver de ses formes atroces et massacrantes.
Parier ? Nous ne savons pas si tout est déjà joué, si rien n’est joué. Rien n’est sûr, surtout pas le meilleur, mais y compris le pire. C’est dans Nuit et Brouillard qu’il nous faut jouer.
Il nous faut enfin formuler le principe spermatique de l’action politique. L’action politique n’est pas dotée de l’efficacité de l’action physique, où chaque coup de marteau, s’il est bien asséné, enfonce un peu plus le clou. C’est que l’efficacité politique, comme l’efficacité biologique de la sexualité, a besoin d’innombrables efforts infructueux, d’un gaspillage inouï d’énergie et de substance vitale pour arriver enfin à une fécondation. Des myriades de spores et pollens s’envolent des plantes et meurent pour la plupart avant de naître. […] Semer la vie, pour nous, c’est la dépense d’efforts sans nombre, c’est la production de germes sans nombre, mais en même temps semer peut coïncider avec s’aimer, c’est-à-dire avec l’amour qui transfigure deux êtres et trouve sa finalité dans leur extase de communion.
Et voici le symbole, que chacun a pu et peut vivre, de cette identité complexe entre l’accouplement de deux êtres et l’accomplissement aveugle d’une fonction venue du fond des âges et qui va vers l’horizon des temps : on en revient à ce que nous savions avant toute connaissance et toute conscience, tout en arrivant à ce que toute connaissance et toute conscience nous disent d’accomplir et d’épanouir : semer -> s’aimer -> semer.

Edgar Morin, Pour sortir du XXè siècle, Le Seuil, 1984.














Avant, je rêvais de partir pour partir et revenais toujours. Je pars sans bouger à présent, et il n’y a pas de retour. On ne part pas, écrivait Rimbaud, ce qui pourrait s’entendre aussi par : on ne cesse de partir, et les vrais voyages ne sont pas ceux qu’on croit. Cette mer qui n’existe pas derrière les peupliers est pour moi plus réelle que la mer, et plus loin que toutes les Abyssinie. Suffit de se laisser faire.

...

Au fond, les vrais voyages sont immobiles. Immobiles et infinis. Solitaires. Silencieux. Souvent ils commencent dans une chambre où l’on est enfermé parce qu’il pleut ou parce qu’on est malade, obligé de garder le lit. On a huit ou neuf ans, le goût des images qui partent toutes seules dans tous les sens et qu’on lit de même, en sautant par-dessus les fuseaux horaires, uniquement préoccupé du cours qu’elles ouvrent en nous et attentif au fleuve qui va venir, qui doit venir, gonflé qu’il est de toute l’eau du regard, de la pluie qui tombe peut-être dans ce monde tout près où l’on est plus ; gonflé, oui, et irisé par la fièvre douce (encore et peut-être) qui nous saoule un peu et nous fait dériver entre les motifs du papier peint décoloré.


Guy Goffette, Partance et L’agencement du Monde ou le voyage rêvé du Marquis de Sy, extrait de Partance et autres lieux, Gallimard, 2000.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

prof a dit…
hello
rendez vous sur http://www.jewisheritage.fr/
a bientot

23 mars, 2007

Anonyme a dit…

cantare a dit…
Une très beau blog d' un superbe pays (d'adoption)..pour voyager vous me faite voyager!Un compatriote sans voix!
Magnifique, mes compliments.
Un bonjour de Belgique.
http://cantare.skynetblogs.be

24 mars, 2007