Masques ! Ô Masques !
Masque noir masque rouge, vous masques blanc - et noir -
Masques aux quatre points d'où souffle l'Esprit
Je vous salue dans le silence !
Et pas toi le dernier, Ancêtre à tête de lion.
Vous gardez ce lieu forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane
Vous distillez cet air d'éternité où je respire l'air de mes Pères.
Masques aux visages sans masque, dépouillés de toute fossette comme de toute ride
Qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché sur l'autel de papier blanc
A votre image, écoutez-moi !
Voici que meurt l'Afrique des empires — c'est l'agonie d'une princesse pitoyable
Et aussi l'Europe à qui nous sommes liés par le nombril.
Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l'on commande
Qui donnent leur vie comme le pauvre son dernier vêtement.
Que nous répondions présent à la renaissance du Monde
Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche.
Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons ?
Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l'aurore ?
Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l'homme aux espoirs éventés ?
Ils nous disent les hommes du coton du café de l'huile
Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur.
Léopold Sedar Senghor, Prière aux masques, Chants d'ombres, 1945.
« Le masque africain, écrit André Malraux, n’est pas la fixation d’une expression humaine, c’est une apparition… Le sculpteur n’y géométrise pas un fantôme qu’il ignore, il suscite celui-ci par sa géométrie, son masque agit moins dans la mesure où il ressemble à l’homme que dans celle où il ne lui ressemble pas ; les masques animaux ne sont pas des animaux : le masque antilope n'est pas une antilope, mais l'esprit-Antilope, et c'est son style qui le fait esprit. » Qui, mieux que l’auteur de l’Intemporel, pouvait exprimer la double nature du masque, vecteur de sacré en même temps qu’œuvre d’art dont la beauté concourt à l’efficacité religieuse ? Carl Estein définissait, quant à lui, le masque comme « une extase immobile »… « Extase », certes, dans la mesure où le porteur de masque cesse, un temps, d’être lui-même, pour incarner tel ancêtre tutélaire, tel génie de la brousse, tel héros mythique rattaché à son clan. « Immobile »… A contrario, ce terme ne semble guère approprié si l’on songe à la fonction intrinsèque du masque : n’est-elle pas précisément de mimer la Création, de chanter l’origine du monde, de faire tournoyer les esprits ? Rien de moins statique, en effet, que le masque africain. Et rien de moins fidèle que la perception que l’on en a, si l’on contemple ces cohortes de faces de bois épinglées, tels des papillons, dans les vitrines de musée ! Car sous les cieux d’Afrique, le masque est danse, tourbillon, musique, prière, couleur tout à la fois. C’est un spectacle total, une « mascarade » au sens plein du terme, c’est-à-dire un ballet masqué imprégné de sacré et de merveilleux, parfois même de comique et de burlesque, provoquant le rire ou les pleurs, la joie ou la terreur. Aussi le visage sculpté dans le bois que l’on admire dans les salles d’un musée, figé comme une statue, nu, propre et lissé comme un bibelot, n’est que la partie tronquée de ce que l’on nomme « masque » dans son pays d’origine. Pour bien le comprendre, il faut alors l’imaginer encore auréolé de sa couronne de fibres végétales, de sparterie ou d’étoffes, tournoyer sous les pas du danseur au milieu des cris d’une assistance médusée, admirative mais vaguement effrayée.
Bérénice Geoffroy-Schneiter, Arts premiers, Assouline, 2005.
2 commentaires:
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Tu devrais convaincre Paul de venir faire un reportage pour son compte sur la foire des masques.C'est superbe .Il leur faudrait des aides de l'Unesco pour présenter un dossier "patrimoine mondial ".
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Papa (par mail)
18 mars, 2007
Daphné a dit…
Eh salut p'pa ! Et la famille ( elle va bien) les amis v( tu en as ?).
Gros bisoux!!!!!
dadapahnaë
21 mai, 2007
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