20 décembre 2006
Le Roi Christophe
Solé, Solé-ô, moin pa moun icit
Moin cé moun l’Afric
Mé zammi coté solé, solé alé-ô
Fé youn vévé pou loa yo
Damballah mvédo
Ago yo mvédo
Fé youn vévé pou loa yo
Damballah mvédo
[…]
CHRISTOPHE
Petite griffe, tu n’es pas nègre ; tu es griffe (NDLR : variété de métis haïtien). Mais comme la terre garde en ses plis la trace des grandes commotions, tu as connu,… non,… tu as vécu dans le roussi de tes cheveux l’halène infernale de la foudre ; non ? Aux épaules, là, entre les deux épaules, j’en suis sûr, l’invisible carcan, indestructible ; au détour du sable, le débouché subit de la caravane : ce sont peines et affres venues d’aussi loin que les cavernes ; des nausées, n’est-ce pas ? Ah ! profondes comme les fleuves, et notre rire aussi comme le taureau rouge jaillissant pendant l’orage du forcené pâtis des nuages remués. Donc tu es nègre ! Au nom du cataclysme, au nom de mon cœur qui remonte la vie toute dans le hoquet du dégoût, je te baptise ; te nomme ; te sacre nègre… Alors, petit nègre, te sens-tu le courage de marcher dans le sang ?
Depuis Milot jusqu’au Cap et du Cap jusqu’à Saint-Marc ?
En avant !
(Il tombe.)
Tonnerre ! Qui, qui ?
Quel ennemi invisible campe autour de mes murs, dressant contre moi ses engins ?
(Hallucination du roi : Boyer apparaît accompagné d’un brillant état-major.)
BOYER
La verge de fer qu’il aimait brandir sur vos têtes va se briser enfin dans ses mains… Ceux-là mêmes qui étaient ses lieutenants l’abandonnent, las de n’être que se premiers esclaves. Soldats, la Vengeance, réveillée du sein de la Providence se lance à sa poursuite. Soldats de la République, vous êtes aussi les soldats de Dieu.
SOLDATS
Hourrah ! Hourrah ! Hourrah !
(Les soldats traversent la scène pour suivre Boyer.)
CHRISTOPHE, revenant à la réalité.
Le page l’aide à se relever.
Afrique ! Aide-moi à rentrer, porte-moi comme un vieil enfant dans tes bras et puis tu me dévêtiras, me laveras. Défais-moi de tous ces vêtements, défais-m’en comme, l’aube venue, on se défait des rêves de la nuit… De mes nobles, de ma noblesse, de mon sceptre, de ma couronne.
Et lave-moi ! Oh, lave-moi de leur fard, de leurs baisers, de mon royaume ! Le reste, j’y pourvoirai seul.
(Ce disant, il prend dans sa main le petit révolver qui pend à son cou, au bout d’une chaînette.)
Aimé Césaire, La tragédie du Roi Christophe, Présence Africaine, Paris, 1963.
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